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CRAS/H ton venin
8 avril 2012

Sexisme et violences domestiques au quotidien

 

Sexisme et violences domestiques au quotidien

 

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On peut définir les violences domestiques comme toute violence vécue dans le cadre de son chez-soi, qu'on vive seul-e, en couple, en famille. Ces violences sont perpétrées par quiconque se croyant autorisé à utiliser la force pour imposer sa volonté, ses désirs. L'enjeu en est donc la domination de l'autre. Dans notre société basée sur la domination masculine, il n'est guère étonnant de constater que ce sont les femmes qui font majoritairement les frais des violences domestiques. Pourrait-on alors simplifier ainsi ? : la violence domestique est la forme individualisée que prend dans chaque maison la domination collective des hommes sur les femmes, voire des adultes sur les enfants. N'oublions pas ces messieurs, qui constituent 5 à 15% des victimes de violences conjugales. Mais attention, la plupart de ceux qui revendiquent haut et fort être martyrisés par leur compagne ne sont en fait que des machos dominateurs aigris face à la résistance de celle-ci à leurs propres violences. Les hommes ne s'autoproclament pas aisément « hommes battus », rapport aux préjugés auxquels ce qualificatif renvoie. Ne négligeons pas non plus les couples homosexuels qui ne sont pas forcément basés, comme le veut le préjugé, sur une division reproduisant les rôles femme/homme dans le couple. Si domination d'un partenaire sur l'autre il y a, nous ne pouvons pas le plaquer sur ce modèle.

C'est pourtant cette société basée sur les rapports dominant-e/dominé-e qui condamne haut et fort, via ses médias, les violences domestiques à coups de statistiques sur le nombre de femmes tuées chaque année par la violence de leur conjoint. Mais il ne s'agit là que de la partie immergée de l'iceberg. Il nous est donné à voir uniquement les violences qui sont inacceptables dans notre société, mais bien d'autres peinent à être reconnues. Prenons simplement l'exemple du viol conjugal. C'est en 1980 que le viol est défini par la loi française, alors que le viol conjugal n'est reconnu que par jurisprudence, suite à un jugement de la Cour de Cassation de juin 1992. Et encore, c'est seulement le principe de soumission d'un partenaire aux désirs de l'autre qui est remis en cause. Au-delà de la loi, la réalité est plus compliquée ! Comment oser dire, et même prouver qu'on n'a pas donné son consentement à un rapport sexuel alors que la société considère encore majoritairement que le consentement est automatique au sein d'un couple ? Et même dans le cas contraire, puisqu'il s'agit d'une affaire de couple, d'une affaire privée, la société ne s'en mêle pas : « ça ne nous regarde pas ». Et peut-on parler d'un viol lorsqu'un homme extorque à sa femme une relation sexuelle, même sans violence physique?

 

Au-delà de ces violences « spectaculaires », il existe des violences quotidiennes, ordinaires, qui dès lors passent inaperçues et sont même considérées comme normales par la société, et même dans certains cas par les victimes. On est alors tentés d'établir une échelle de valeurs des violences, mais qui est juge de leur degré de gravité ? La société, la personne qui exerce les violences ou celle qui les subit ?

En ce qui concerne la société, il est important de différencier l'opinion collective du système judiciaire, bien qu'ils se basent sur une même vision des violences domestiques. Mis à part les violences physiques, les autres formes de violences peinent à être reconnues comme telles. Que ce soit dans les médias ou lors d'une discussion plus privée, on s'accorde toujours pour dire que « frapper sa femme, c'est mal », comme on sera « contre la faim dans le monde » ou « contre la guerre ». On met de jolis mots sur des idées toutes faites pour se donner bonne conscience. Mais on admettra difficilement qu'un-e proche « si gentil-le,... » soit violent-e envers son-sa conjoint-e. Et il nous sera encore plus difficile de le croire si les violences en question ne sont pas physiques. Cet état d'esprit transparaît bien dans l'expression largement répandue de « femme battue ». Imaginons une femme racontant à sa meilleure amie : « mon mec m'a giflé hier ». Ça c'est de la violence. Mais si maintenant elle lui dit : « Mon mec me coupe toujours la parole » ou « Mon mec met toujours le nez dans mes comptes. », l'amie répondra : « T'es bien une meuf, t'es bavarde et dépensière! ». Parce-que c'est naturel, c'est comme ça que ça fonctionne entre femmes et hommes ? Non, cet état des choses est loin d'être naturel, il s'agit des conséquences de la construction inégalitaire de notre société, de la domination des hommes sur les femmes.

Au niveau de la justice, le problème est sensiblement le même. Tout d'abord, ce sont les violences physiques qu'elle reconnaît le plus facilement. On peut en effet les mesurer et en faire des règles immuables. Si on caricature, on arrive à ça : un bleu = 1 mois de prison avec sursis ; une fracture = un mois ferme ? À l'heure actuelle, la justice tente d'intégrer certaines autres violences, ses formes sexuées et psychologiques par exemple, mais comment les mesurer ? Et comment, pour la victime, les prouver ? Et ne parlons pas des violences économiques, qui ne sont même pas reconnues comme telles par notre société !

C'est en écoutant parler les personnes violentes que l'on entrevoit l'étendue de la « gamme » des violences domestiques. Mais attention, il s'agit ici de la parole de ceux-celles qui ont reconnu leur responsabilité dans la violence au lieu de rejeter la faute sur l'autre. Ces personnes définissent comme violence tout acte fait dans le but de garder le contrôle sur l'autre et de lui faire passer le message : « c'est moi qui domine ». La personne violente va donc avoir pour objectif (conscient ou non) de rabaisser l'autre pour confirmer son statut dominant. Le-la dominant-e a pour cela tout un « panel » de violences, dont la violence physique est le summum. On peut identifier deux grandes lignes directrices au sein-même de ces violences. Tout d'abord, la volonté de détruire l'estime de soi de l'autre par divers « moyens » détaillés dans l'encadré ci-contre. Dans un second temps, la domination passe par un contrôle plus ou moins total du quotidien domestique, concernant par exemple la répartition des tâches domestiques, les dépenses du foyer, les échanges et conversations, le temps domestique (heures de coucher/lever/repas) et extérieur (ce qu'on y fait, quand), les décisions professionnelles (choix d'un emploi, d'études, …).

C'est cette relation de domination qui engendre la violence domestique, mais aussi la violence dans la société en général. On peut ainsi repérer dans le sexisme de la société des éléments similaires avec les violences décrites ci-dessus : dévalorisation du travail domestique, difficulté des femmes à se faire entendre dans une conversation, autonomie financière réduite (travail à temps partiel, femme au foyer), … Ce modèle de contrôle des hommes sur les femmes suinte par toutes les pores de notre société patriarcale. Mais on va alors nous répondre que si cet état de fait est si largement répandu, c'est bien la preuve qu'il est naturel ! C'est un classique d'entendre les dominants justifier leur position par la « nature », nous avons tous en tête des exemples de théories raciales du siècle dernier, basées sur des études « scientifiques »... Dès qu'un système social met en place une domination d'un groupe d'individus sur un autre, il engendre la violence des plus puissants pour appuyer leur statut. On peut donc établir clairement un lien entre la violence domestique et les comportements sexistes.

Mais qu'en est-il du côté des personnes qui subissent la violence ? On a trop souvent tendance à vouloir parler, décider, agir à la place des « victimes », car en tant que telles, elles deviennent des êtres mineurs que la société a le devoir moral de prendre en charge. Cela est fortement lié à nos préjugés sur les violences domestiques et les « femmes battues ». Il nous vient systématiquement en tête l'image de la victime-type : une femme « normale » (s'occupe de la maison, des enfants, travaille peut-être à l'extérieur) qui est douce et aimante, pas très forte physiquement , ce qui l'empêche de se défendre lorsque son mari (baraqué, tendance à la picole) veut lui taper dessus. Mais ce stéréotype ne cadre largement pas à la réalité des tous les couples hétérosexuels, et encore moins à celle des couples homosexuels.

Du côté des femmes victimes de violences, l'impact de cette image-type a de fortes conséquences. Ainsi, une femme qui a voulu se défendre ou riposter face à son-sa conjoint-e violent-e ne va pas oser le dire ou va jusqu'à s'accuser d'être la personne violente du couple (toujours mieux que d'être victimisée...). Et lorsque ces femmes s'expriment sur les violences qu'elles ont subi ou subissent encore, elles s'efforcent inconsciemment de coller au modèle de « femme battue » que leur impose la société, peut-être par peur de ne pas être acceptées comme telles si leur version diffère. Il en va de même dans le cas des hommes victimes de violences. Dans notre société patriarcale où les hommes dominent, il est inconcevable que l'un d'entre eux aie perdu le contrôle sur son foyer, donc sa place de dominant. D'ailleurs, par exemple, comment un homme n'aurait-il pas eu la force d'empêcher une femme de le frapper ? Ce n'est donc pas un « vrai mec » ? Il est en tout cas intéressant de signaler que ce qui lie ces hommes victimes, c'est leur « manque » de volonté de dominer l'autre, que ce soit par refus du machisme, de l'armée, … Vu qu'ils ne collent plus à l'image de l'homme dominateur, serait-ce donc de leur faute qu'ils subissent des violences ? Certains iraient même jusqu'à les accuser de ne pas avoir frappé les premiers.

Par ailleurs, les violences domestiques décrites par les femmes comme par les hommes se cantonnent généralement aux violences physiques. Cela semble contradictoire avec les témoignages des personnes violentes. Cet écart est grandement lié à la société dans laquelle nous vivons, et par laquelle nous avons été conditionné-e-s dès le plus jeune âge. Puisque les seules violences reconnues sont physiques, comment identifier d'autres violences, et comment les dénoncer ? La difficulté de reconnaître les violences qu'on subit est aussi liée à la victimisation des femmes et hommes battu-e-s. Comment admettre qu'on est faible et impuissant-e et que la personne qu'on aime et qui nous aime nous domine ? Il est alors plus facile de se dire que les violences de l'autre n'étaient pas volontaires : fatigue, stress, alcool, … ne sont pourtant pas des excuses. Les personnes victimes réagissent donc face aux violences à travers le prisme de ce que la société leur a enseigné. Ainsi, certaines violences sont jugées intolérables, comme frapper une femme enceinte, alors qu'être privé-e de carte bleue ou de chéquier par son-sa conjoint-e ne passe pas pour une violence. Notre degré de tolérance aux violences est donc en grande partie conditionné par la société dans laquelle nous vivons. Il est cependant nuancé selon le caractère, le vécu de chacun-e.

Il semble donc important de dénoncer haut et fort les violences domestiques sous toutes leurs formes pour faire prendre conscience de leur gravité à chacun-e. Cette vigilance nous concerne tous-tes, pour ne pas nous rendre coupables de violences envers nos proches, et pour être capables de leur dire « arrête » lorsque cela est nécessaire. Mais les violences domestiques n'étant qu'une facette de la domination masculine sur la société en général, il est nécessaire de combattre le sexisme dans son intégralité pour faire reculer les violences. Cela inclut aussi bien la discrimination à l'embauche que les petites blagues sexistes en soirées.


Pour aller plus loin :

MONNET Corinne - La répartition des tâches entre les femmes et les hommes dans le travail de la conversation. (brochure disponible sur http://www.infokiosques.net)

WELZER-LANG Daniel - Arrête ! Tu me fais mal ! La violence domestique en 60 questions et 59 réponses... Petite bibliothèque Payot, 2005, Dijon-Quetigny. (livre disponible à la médiathèque Jacques Demy, Nantes)

ZEILINGER Irene - NON C'EST NON, petit manuel à l'usage de toutes les femmes qui en ont marre de se faire emmerder sans rien dire. (brochure disponible sur http://www.infokiosques.net)

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